Septembre 2023

L'aurore succède à l'aube blanchâtre, indécise et voilée. Le cap Bénat n'est encore qu'une silhouette dans le lointain, masse ténébreuse, indistincte, sur un ciel qui tente de quitter ses habits couleur de nuit. Légèrement à droite de l'étrave effilée, délicatement ourlée par l'écume, le Levant et Port-Cros ne sont qu'une seule terre bleutée. Le clapotis du sillage hésite à rompre le silence de ce presque jour. Timidement, le ciel rosit. Ce n'est d'abord qu'une légère teinte fugace à peine au-dessus de l'horizon. Progressivement, les couleurs s'affirment, le rose monte et devient plus soutenu, plus présent. La lueur jaune pâle de l'astre solaire auréole le cap. Le ciel s'embrase lentement repoussant la nuit jusqu'à ce soir. Nous admirons en silence ce spectacle comme si c'était la première fois.

L'hélice brasse l'eau vigoureusement nous rapprochant un peu plus à chaque tour de notre destination. Les préparatifs vont bon train. Sortant des sacs c'est un inventaire à la Prévert que le plongeur amène avec lui. Détenteur pour pouvoir respirer l'air comprimé des bouteilles, masque afin de rétablir la vision, combinaison pour ne pas grelotter, palmes plus ou moins longues en fonction des goûts de chacun, ordinateur de plongée pour contrôler l'immersion, bottillons quelque peu usagés, gilet gonflable pour négocier finement avec Archimède. Cette panoplie revêtue nous transforme, petit à petit, de simple terrien en aquanaute.

En route vers les tréfonds de la mer. Les particules dansent une folle sarabande tout autour de nous. Les bulles d'air à chaque expiration s'échappent, remontant en gros bouillons désordonnés vers la surface. La pression augmente au fur et à mesure que la pénombre bleutée s'intensifie. Le fond de la mer se dévoile enfin, vaste plaine monotone sans limite, jonchée de débris organiques. Pourtant, en y regardant de plus près, nous apercevons quelques reliefs timides qui, de-ci de-là, agrémentent ce paysage austère. Direction le plus proche d'entre eux.

C'est incroyable comme la présence d'un petit relief de quelques centimètres de haut transforme radicalement un paysage sous-marin. Cette étendue ressemble à un petit jardin japonais incitant à la contemplation. Quelques touches colorées disséminées, ce sont des éponges. Une végétation improbable, ce sont des algues. Des êtres vivants aux formes impensables, c'est le Pleurobranche tortue ou le Rouget grondin qui est un poisson muni de pattes.

La première rencontre avec les habitants des lieux prend la forme d'un Pleurobranche tortue tout de bordeaux habillé. Il se déplace pareillement à un aéroglisseur, son manteau épousant gracieusement chaque relief, chaque obstacle, sur son chemin. Une belle Ascidie blanche trône en majesté pas loin de là. Étrangement, un bouquet de Parazoanthus est présent. Son lieu d'habitat habituel est pourtant situé sur les tombants rocheux. Une Éponge fétide a englobé une Axinelle. Elle accueille à son sommet un Oursin diadème. Étrange symbiose.

Au détour d'une roche, c'est une Araignée, haute sur pattes, qui recule à notre approche. Elle ressemble à l'un des véhicules imaginés pour le film la guerre des étoiles. En reculant, elle enjambe sans difficulté l'une de nos caméras. Frissons garantis. Nous traversons maintenant une zone sableuse recouverte par des algues courtes. Un Rouget-grondin, tout petit, ne bouge pas à notre approche espérant sans doute passer inaperçue. Quelques Oursins lance rouge sont présent ainsi que des Oursins granuleux dont un qui est recouvert d'un chapeau d'algues vertes.

Un Serran chèvre présente son meilleur profil à la caméra. Sa voisine la Langouste agite ses antennes en tous sens, effarouchée par notre présence. Une Pennatule, belle petite fougère rose orangé, est en plein repas. Elle présente son dos au courant pour capter sa pitance à l'aide de ses polypes. Une Axinelle est complètement submergée par les Oeufs de calmar. Un Rouget barbet prend le large à notre venue. Sa voisine la Seiche reste stoïquement en place.

Nous remontons à présent. Il est temps pour notre Palanquée de faire les indispensables Paliers tranquillement accrochés sous le bateau au Pendeur dont la dérive est freinée par des ancres flottantes.