Août 2023

Une belle journée d'été sans mistral, nous en rêvions depuis plus de 8 jours. Éole vient de se calmer après une grosse colère qui a fait chuter la température de l'eau drastiquement. Nous embarquons, après avoir chargé le matériel. C'est l'heure bleue, le moment fugitif où le ciel se remplit presque entièrement d'un bleu plus foncé que le bleu ciel de la journée. Nous prenons la direction du large laissant derrière nous le port de l'Ayguade. Notre embarcation, qui vient d'être remise en état après des soucis de pompe, tubulure, turbo et autres mystères "mécaniquo-insondable", trace sa route régulièrement.

Enfin sur les lieux, nous prenons rapidement la direction du royaume de Poséidon. La descente, bien que soutenue, nous laisse le temps d'activer le matériel de prise de vue. Le fond apparait doucement. Taches claires indistinctes sur fond sombre puis, le relief se précise devient plus net, plus présent. Tels des ludions, nous nous arrêtons en suspension juste avant d'atteindre le substrat. Nous sommes au complet, impatients de commencer notre visite. Le paysage qui nous entoure dans un halo bleuté est mystérieux et immense. Nous nous sentons écrasés par le relief. Les montagnes sous-marines qui nous encerclent, aux flancs abrupts et tranchants, sont hérissées de Gorgones pourpres et jaunes. En regardant vers le haut, parmi les milliers de reflets, nous percevons le lointain astre solaire qui essaye de percer sans succès de ses puissants rayons la colonne d'eau.

Première rencontre, et quelle rencontre ! Siu-Kwan vient de trouver un Saint-Pierre. Le poisson des anciens dieux Grecs prend tranquillement la pose devant l'objectif. Sa robe dorée et chatoyante reflète le soleil artificiel qui nous permet de restituer les couleurs. Son oeil sombre comme une nuit sans étoiles nous observe. Insensiblement, il s'éloigne semblant glisser dans l'eau sans effort apparent. Ses nageoires translucides et frémissantes le propulsent efficacement. Il disparait dans le lointain nous laissant devant une immense Gorgone pourpre aux extrémités jaune vif. Ses délicats polypes ressemblant à de minuscules anémones sont déployés dans le courant.

En quelques coups de palme, nous atteignons un passage étroit entre deux montagnes. Un banc de Sars à tête noire reste tranquillement le long d'une des parois. Sur une Gorgone, nous trouvons un énorme Gorgonocéphale. Sa taille est telle qu'il ressemble à une grosse pelote de ficelle de la taille de deux gros poings d'adulte solidement charpenté. C'est un véritable fouillis de dix tentacules qui oscillent légèrement donnant un aspect irréel à l'animal. Légèrement décalée et en contrebas, une Axinelle attire l'oeil par sa belle couleur orange. Celle-ci, comme le vent et les intempéries sculptent le vieil arbre isolé au sommet de la colline, a été travaillée par les remous et le courant qui lui ont donnés son aspect d'arbuste.

En relevant la tête vers le large, nous apercevons un petit banc de Sars à tête noire qui migre en pleine eau vers l'ouest. Nous arpentons maintenant une forêt de Gorgones où alternent Gorgones pourpres, Gorgones orange, Gorgones verruqueuses blanches et autre Gorgonocéphales crèmes. Au milieu de cette futaie sous-marine, des Anthias juvéniles, tout de roses vêtus, jouent à cache-cache. Nous remontons vers le sommet de la plus haute montagne. En contre-jour, nous voyons des milliers de poissons qui vont et viennent dans un joyeux désordre.

Sur les flancs verticaux, prospèrent au milieu des Gorgones des Éponges cavernicoles jaunes et d'autres éponges encroûtantes souvent de couleur orange. Quelques Ascidies rouges à la tunique solide et granuleuse, se nourrissent en captant dans le flux liquide des micros-particules. Dans un monde privé de lumière ou le bleu domine, les autres teintes ayant été avalées depuis longtemps par l'eau, nos lampes font jaillir un feu d'artifice de couleurs chatoyantes. Pourquoi une telle débauche de coloris, alors que personne n’est capable de le voir ?

Nous devons à présent, pour notre sécurité, commencer la remontée. Le Parachute pour signaler en surface notre Palanquée est envoyé. Dès son apparition, le pilote manoeuvre afin d'être proche de nous. Il met à l'eau un Pendeur muni d'une gueuse. Il ne nous reste plus qu'à faire tranquillement à l'abri sous le bateau nos Paliers de décompression.