Mars 2023

C'est par un petit matin blafard où ciel bas couleur de plomb fondu et mer huileuse se rejoignent et fusionnent en une masse indistincte et évanescente que nous prenons la direction du Michel C, célèbre épave d'un petit vapeur construit en Irlande en 1866. La chaleur de l'astre solaire est aux abonnés absents, ainsi que sa lumière qui ne nous parvient qu'au travers la masse cotonneuse et tourmentée qui nous surplombe. Le gris acier est la couleur dominante de ce monde liquide aux longues ondulations venant de l'Est. Ce sont presque les mêmes conditions que le Michel C a rencontré lors de l'abordage qui lui a été fatal en novembre 1900. L'ambiance de la plongée sera forcément impacté par ce manque de lumière. Le lieu où le Michel C a croisé son destin est connu pour être un fond vaseux. Nous allons donc avoir plus de mal a ramener des images de qualité. 

Au signal du pilote, nous basculons et prenons la direction du fond. Un léger courant transporte les particules en suspension dans la masse liquide salée et sombre qui nous entoure. C'est bientôt la presque nuit. Les lampes peinent à trouer l'espace devant nous. Quelques éclairs argentés et furtifs attirent notre regard. Ce sont des Sérioles juvéniles en banc qui tournent autour des premières tôles qui ont enfin fait leur apparition. Elles restent prudemment à la limite que peuvent atteindre nos phares, formes fantomatiques apparaissant et disparaissant suivant que leur corps accroche ou pas la lumière.

Le ballet des Sérioles n'est pas le seul point d'interêt de cette plongée hivernale. Le Michel C est aussi la vedette. Cette épave dégage une ambiance métallique post apocalyptique où rouille et concrétions se partagent sa dépouille. Ses formes torturées n'accueillent pas de belles Gorgones pourpres comme le Donator ou le Grec. Dans cet enfer de métal déchiqueté seul quelques rares Anthias apportent une touche de couleur chaude. Dès que le regard du plongeur se tourne vers le large, c'est le gris bleuté des Sérioles qui apporte ses couleurs froides. Cette opposition chaud froid accentue la solitude du lieu nous faisant ressentir que ce n'est pas notre monde.

Nous déambulons de l'étrave, encore fièrement dressée, à la poupe, de tôle en tôle, de poutre en poutre, à la recherche des habitants. Plus nous nous approchons de l'arrière et plus les formes s'aplatissent. Il faut maintenant se mettre à plat ventre pour éclairer les sombres grottes qui se sont créées entre le sable vaseux et les plaques métalliques. Sur un espace à peu près plat, un bébé Chapon semble dormir. Après un énorme treuil, quelques Anthias téméraires nous font face tandis qu'une Mostelle nous tourne le dos pour se mettre à l'abri dans une plaie béante.

Encore un petit coup d'oeil aux Sérioles puis vient le temps de la remontée vers les Paliers. Pendant le dernier palier, nous voyons, par en-dessous, passer une nappe de carburant accompagnée par des petites méduses qui ne semblent pas au mieux de leur forme. Un bateau a dû dégazer sauvagement ses cuves sans respect pour les autres usagers et la nature.