Juillet 2023

C'est une plongée étrange sur le sec de la Gabinière et le tombant Ouest, dans un paysage vaporeux ou le vert tirant sur le jaune est la couleur dominante. Les belles couleurs vives habituelles, orange, rouges, jaunes, de la méditerranée sont comme avalées par cette matière souple, plus ou moins lâche de filaments. Ce cocon a pour nom générique "Algues filamenteuses". C'est en réalité plusieurs sortes d'algues. Les plongeurs, jamais à court d'imagination, les surnomment "barbe à papa" mais aussi "barbe de Thanatos", "algue de chaleur"... Cette couverture fait son apparition au printemps. Elle peut se prolonger en été si des phénomènes de fortes houles ne viennent pas la nettoyer. Si la durée de présence est trop longue, des nécroses peuvent apparaître sur certaines espèces comme les Gorgones. Un grand nombre d’autres espèces sont aussi concernées comme les éponges, et tous les animaux filtreurs, moules, ascidies, etc.

En ce début d'immersion, c'est un vigoureux Mérou qui nous ouvre la route, traçant une belle trajectoire rectiligne devant un panorama verdâtre recouvert par les algues filamenteuses. Même les magnifiques Gorgones pourpres en sont couvertes, soit partiellement, soit entièrement. Cette chevelure hirsute, vaporeuse et légère ondule au moindre mouvement d'eau. Plus bas, à la limite de la roche et du sable, une Étoile de mer rouge chevauche des Éponges encroûtantes, taches de couleur vives perdues dans l'immensité verdâtre. Désolant!

Au-dessus de ce fond mousseux, très épais par endroit, les Sars à tête noire à la robe argentée semblent perdus. Sur un palier rocheux, une Anémone verte est épargnée par l'envahisseur. Devant elle, en pleine eau, un "trouple" de Corb se laisse bercer par l'eau. Ce poisson, très élégant, a une livrée argentée et des nageoires jaunes festonnées de noir. Son maintien distingué en fait le "Brummell" des lieux. Par endroit, des couches d'eau chaude rencontrent des couches d'eau plus froide provoquant des déformations visuelles importantes.

À l'abri d'une avancée rocheuse, sur le sable, camouflée par les algues filamenteuses, une trompe des dieux plus connue sous le nom de Triton expose sa splendide coquille biconique. Nous avons là le plus gros coquillage de méditerranée dont nous avons filmé la reproduction cet hiver. Une Bonellie verte replie sa trompe dans un beau mouvement souple, pensant avoir capturé une proie. Voilà de nouveau un Mérou pilote. Celui-ci nous ouvre la voie nageant nonchalamment non sans jeter de temps à autre un regard furtif en arrière comme s’il vérifiait que nous le suivons bien.

Au détour d'un bosquet de Gorgones, il nous abandonne, soudainement, devant un tombant constellé d'Anthias et de Gorgones pourpres sans Algues filamenteuses. Enfin de la couleur remplaçant cette monochromie verte. Une Girelle cherche sa pitance dans le sable tête en bas queue en l'air. Un Spirographe capte sa nourriture dans le léger courant, son panache branchial entièrement déployé. Venant du fond, tel un éclair sous-marin, une Daurade royale traverse l'espace en reflétant sur ses flancs métalliques le soleil de nos phares. Elle nous entraine vers un Denti à la mine farouche, qui plonge dans notre direction. Superbe chorégraphie.

Nous remontons doucement en suivant le fond. Sur notre chemin, nous faisons la connaissance d'un Mérou en train de "dormir". Il n'est pas possible de parler réellement de sommeil pour un poisson mais plutôt de phases de repos. En effet, ils ne dorment pas de la même manière que les autres animaux. Ne possédant pas de paupières, ils ne ferment pas les yeux quand ils se reposent. Néanmoins, même sans paupière, leurs yeux ne risquent pas de se dessécher puisqu’ils sont dans l’eau.

Laissons-le tranquille et passons notre route. Direction le Palier, où notre Palanquée a tout le loisir d'observer différentes espèces qui "batifolle" proche de la surface.