Nous allons aujourd'hui rendre une visite de courtoisie au Donator. Cela fait plusieurs mois, 10 exactement, que nous n'y avons pas remis les palmes. Depuis plus de 40 ans que nous plongeons, nous constatons, impuissants, sa lente dégradation. Cette décomposition est devenue bien visible lors de la chute, en janvier 2000, du mât arrière qui se dressait fièrement dans le bleu, culminant à 25 m de profondeur. Il était, à cette époque, entouré d'un nuage de poissons. C'était l'emblème du Donator. Maintenant, ce sont les bordés qui petit à petit laissent apparaitre les entrailles du navire. Trop de visiteurs, c'est la rançon du succès.
L’avantage indéniable de l’hiver sur l’été lorsque vous plongez sur le Donator c’est que le tête-à-tête devient possible entre vous et l'épave. Cette immense masse métallique, de presque 80 mètres de long sur 12 de large, qui se désagrège lentement, vous accueille nimbée de mystère dans une eau bleu sombre à 13°.
Dès la descente, l'atmosphère se crée. Les particules en suspension semblent remonter vers vous dans un ballet désordonné. La lumière hivernale extérieure change la couleur de l'eau. Le bleu méditerranéen, si prisé l'été, fait place au bleu laiteux puis au bleu sombre lorsque le pont fait son entrée en scène. Suivant les moments, vous serez entouré de nombreux poissons depuis les Daurades, les Sars à tête noire en passant par les Sérioles ou encore les Mérous et autres Congres ou bien vous vous retrouverez seul, ou presque, les poissons ayant décidé ce jour-là de ne pas vous tenir compagnie.
Nous avançons, en apesanteur, à l'extérieur du flanc bâbord. La couleur est bien présente, mais hors le faisceau limité de nos lampes c'est un monde monochrome oscillant entre le bleuâtre et le verdâtre qui s'offre à nous. Sur le pont un troupeau de Rougets-barbets s'envole lourdement. Les belles Gorgones habituellement épanouies semblent toutes rabougries dans cette nuit froide et liquide. Une grosse Étoile de mer épineuse est accrochée sur les concrétions qui recouvrent la tôle. Plus avant un Rouget-Barbet solitaire nous observe d'un oeil rond.
Nous faisons à loisir surgir, tels des magiciens, d'un simple coup de poignet, les couleurs les plus folles de notre environnement. Nous arrivons à l'emplacement où le 10 novembre 1945 le destin a frappé le Donator sous la forme d'une mine à la dérive. La proue a été proprement séparée de l'arrière comme par un coup de hache monstrueux. Devant nous, un immense trou béant donnant directement accès aux cales. Un banc de Sars à tête noire de plusieurs centaines d'individus brille comme des étoiles en renvoyant par leurs écailles argentées le rayon lumineux que nous pointons vers eux. Il quitte à regret le ventre du navire. Les bordés disjoints laissent passer la faible lueur qui provient de la surface provoquant un halo bleuté dansant, spectacle d'ombres et de lumières fascinant.
Nous revenons sur le pont et prenons la direction de l'arrière. Nous survolons des formes incertaines prises dans des gangues de concrétion. Un petit détour vers l'accès aux machines puis nous amorçons notre remontée le long de ce qu'il reste du mât et passons au travers d'un banc de poissons argentés de petite taille.
Premier palier au pendeur nous laissant le temps de mémoriser les détails de notre plongée. Nous remontons lentement vers le palier suivant. Encore quelques minutes de patience puis nous pourrons partager nos émotions.
Commençons, une fois n'est pas coutume, par un joli conte du Bénin à propos des étoiles de mer.
Au Bénin, les étoiles de mer sont des enfants de la Lune. Le Soleil et la Lune, autrefois, étaient de très bons amis et avaient de nombreux enfants. Un jour, la Lune dit au Soleil : "Nos enfants sont trop nombreux. Précipitons-les en bas. Ils pourront peupler le monde qui se trouve au-dessous de nous."
Le Soleil réunit aussitôt ses enfants et les fit enfermer. La Lune en fit autant et, au jour convenu, ils arrivèrent au-dessus de la Terre avec leurs sacs, qu'ils jetèrent du haut du ciel dans la mer. Les enfants du Soleil devinrent les poissons et ceux de la Lune les étoiles de mer.
Quelques faits surprenants : Les étoiles de mer étaient considérées comme des coquillages pendant l’Antiquité. Au siècle des Lumières, elles sont considérées comme des insectes ou des mollusques.
Toutes les étoiles de mer vivent sur le fond. Elles sont dites benthiques. Ne sachant pas nager, elles utilisent leurs pieds (petites pointes sous l'étoile de mer) lors de leurs déplacements et pour s’enfouir. Ne lui demandez pas de faire un sprint elles n'est pas taillée pour cela. Elle se déplace vraiment très, très lentement. Si elle se retrouve sur le dos, elle retourne l'extrémité d'un de ses bras, ou de deux, et de proche en proche, elle réalise une lente culbute. Le retournement complet dure de 20 secondes à quelques minutes.
Elle vit en solitaire et il est rare de rencontrer des concentrations.
C'est un prédateur détritivore. Elle mange des mollusques, des oursins... Elle est mangée par les Tritons et par ses propres congénères.
L'étoile de mer épineuse qui nous intéresse aujourd'hui est visible sur les épaves, sur les fonds rocheux, le coralligène. Elle n'aime pas trop la lumière et se tient généralement à l'ombre. Elle possède 6 à 10 bras recouverts par de fines épines éparses. Sa couleur tire vers l'orange, les épines vers le jaune blanchâtre.
Comme le lézard qui peut faire repousser sa queue, en cas de perte d'un de ses bras l'étoile de mer est capable de le régénérer. Plus fort encore à partir d'un bras elle peut régénérer son corps entier ce qui donne des petites étoiles de mer avec un seul gros bras.
Sa reproduction est sexuée, mais il existe plus d'étoiles de mer femelles que mâles.
La compagnie Schiaffino frères, spécialisée alors dans le service côtier est créé en 1874. Cette compagnie appartenait à la famille Schiaffino, les bateaux étaient d'ailleurs souvent baptisés du nom des membres de la famille.
Monique Schiaffino, Rose Schiaffino, Louis-charles Schiaffino, Antoine Schiaffino... et bien sur le Prosper Schiaffino.
Cette compagnie possède vingt bâtiments en 1939 mais en perd 19 pendant la seconde guerre mondiale. Ce qui fait qu’à la fin des hostilités, le seul rescapé est le Prosper Schiaffino, qui assure le transport du vin entre l’Algérie et la Métropole.
Le Prosper Schiaffino est long de 78 m pour 12 m de large, il pouvait filer 14 à 15 nœuds propulsé par une machine à triple expansion de 1800 CV. Lorsque la famille Schiaffino l'achète, il est transformé en pinardier. Il est équipé de 4 citernes sur le pont, faisant ainsi partie des premiers cargos modernes à avoir transporté du vin autrement qu'en barriques.
Le 10 novembre 1945 il fait route vers Marseille. Lorsqu'il arrive dans les parages du sud de Porquerolles, son capitaine monsieur Baillet, ordonne à ses hommes d’observer la plus grande vigilance car il reste des mines en Méditerranée.
Ce jour là, le mistral souffle, la mer est forte. A 13h10 une énorme explosion retentit. Le cargo vient de heurter une mine par bâbord avant, la proue est quasi détachée du reste de la coque ne donnant aucune chance au bateau. L’eau envahit le navire, la poupe se soulève rapidement. Ne pouvant mettre les chaloupes à la mer, l’équipage, composé de 29 marins, se trouve dans l’obligation de se jeter à l’eau.
Par chance un avion de la R.A.F, témoin du drame, alerte les secours sauvant ainsi 27 hommes, alors que 2 sont portés disparus.
La plongée hivernale est plus impressionnante et difficile que la plongée estivale. L'eau est sombre, il y a des particules, il fait froid, vous êtes engoncé dans une combinaison étanche avec un lestage conséquent, bref c'est une plongée plus engagée. Sur une épave, l'ambiance est aussi totalement différente, plus inquiétante, plus intime surtout lorsque vous êtes la seule palanquée sur le site.
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