Janvier 2024

Malgré l'heure avancée, l'astre solaire lutte en vain contre l'épaisse et cotonneuse couche des nuages noirs, plongeant tout dans l'obscurité : la terre s'éloignant graduellement, l'île de Porquerolles approchant lentement, et la mer adoptant une posture sombre et impassible. De temps à autre, une lueur perce cette obscurité, émanant du phare du cap d'Armes, fidèle gardien avertissant le navigateur de l'approche de l'île. La surface liquide se déchire régulièrement, créant une écume blanchâtre et blafarde, les vagues succombant à leur propre poids. Une plongée qui s'annonce teintée de noirceur. Soudain, une fine pluie s'invite, d'abord constituée de gouttelettes hésitantes, puis évoluant en un crachin froid et humide. Mais que diable faisons-nous dans cette galère !

Nous approchons du site de notre prochaine immersion. La mer, agitée de soubresauts, est écumante. Normalement, elle devrait se calmer dans l'heure à venir, du moins si la météo ne s'est pas trompée. Enfilant nos combinaisons étanches sur des sous-vêtements épais pour braver le froid de la plongée, nous ajustons le tout avant la mise à l'eau. Dès l'immersion, la noirceur nous enveloppe. Ce n'est pas une plongée de nuit, mais elle s'en rapproche. Phares allumés, nous descendons rapidement pour rejoindre le fond.

Notre arrivée est saluée en fanfare par un banc d'alevins, éparpillés dans le faisceau blafard des lampes. Sur le lieu de reproduction des Tritons, Charonia lampas pour les intimes, le fond sableux s'étend à perte de vue vers l'Est, se terminant au pied d'une barre rocheuse à faible élévation, s'étalant du Nord au Sud. Les alevins laissent place à une bande de Rougets-barbet et à un Serran chèvre, qui se dispersent à notre approche. En lévitation sur le sable, une Seiche prend la pose devant l'objectif de la caméra. Elle nous observe sans crainte, oscillant légèrement du haut vers le bas.

Un Oursin granuleux, partiellement recouvert d'un Œuf de Roussette entièrement concrétionné, tente de passer inaperçu. Le long de la barre rocheuse à main droite, à la limite entre le sable et la roche, nous balayons l'espace devant nous avec le faisceau des lampes littéralement avalé par l'eau. La visibilité est très réduite pour la Méditerranée, pas plus de quatre à cinq mètres. Devant nous, un Triton s'avance lentement sur le sable, laissant derrière lui un long sillage sableux. Son pied orange musculeux et puissant trace une route vers sa belle en cette période de reproduction. Un nuage de minuscules poissons ouvre la voie devant lui. Ses délicates antennes cerclées de noir palpent le sol scrutant les éventuels pièges. Les yeux du Triton, à la base des antennes, minuscules comme des têtes d'épingle, surveillent attentivement le terrain.

Le sable, sous notre regard scrutateur, prend soudainement vie, se transformant en un tapis dense et frémissant qui s'étend dans toutes les directions. Un examen plus minutieux nous révèle que des milliers, peut-être des millions, de juvéniles nagent en une chorégraphie marine parfaitement synchronisée. Leur transparence sur le fond sableux légèrement teinté, créant l'illusion. D'un œil rond et noir, un Gobie à joues poreuses observe la scène sur son lit sableux nullement dérangé par cette agitation. Telle une sentinelle silencieuse, il contemple la danse mystérieuse des juvéniles, orchestrée par la mer elle-même.

Une étrange rencontre se déroule ensuite entre deux amoncellements de sable blanc, où une Seiche demeure immobile. Notre approche est lente, empreinte de la prudence nécessaire pour ne pas l'effaroucher. Calme et placide, elle semble insensible à notre présence, ignorant notre approche. Cependant, subitement, son attention est captivée par son reflet dans le hublot d'une de nos caméras. Elle s'avance alors avec une détermination étonnante, jusqu'à ce que son corps délicat effleure l'objectif. La Seiche, énigmatique créature des profondeurs, pourrait-elle être consciente d'elle-même ? Une interrogation vaste et complexe se dessine, laissant dans son sillage le mystère de la nature et de ses merveilles sous-marines.

Nous prenons lentement nos distances, lorsque Siu-Kwan, d'un geste discret, capte mon attention sur d'intrigants tentacules émergeant du substrat. Intrigués, nous nous approchons davantage pour découvrir un bébé Seiche, à demi enfoui dans le sable. Le temps de positionner la caméra et d'ajuster l'éclairage, voilà que notre vedette du moment projette ses deux tentacules longs avec une vélocité surprenante, capturant instantanément un alevin imprudent qui croise son chemin. Dans cet univers implacable, la loi est simple dans sa dualité. Manger ou être mangé.

Au pied d'un modeste promontoire émergeant du sable, une Triton femelle a déposé ses œufs orangés dans des cocons d'un blanc laiteux et translucide qu'elle a secrété avec délicatesse. Son partenaire, d'une fidélité inébranlable, demeure solidement accroché à elle. Avec une tendresse palpable, elle explore délicatement sa future progéniture à l'aide de ses antennes. Respectons leur intimité et retirons-nous discrètement, laissant ces créatures s'adonner à leurs amours.

Les aiguilles du temps s'égrènent inexorablement, nous laissant quelques minutes précieuses avant que ne s'amorce notre inéluctable remontée. Mettons à profit ce laps de temps résiduel pour rendre visite à une Fraise de mer, qui a pour voisine, deux majestueuses Langoustes aux antennes érigées.

Toutefois, l'heure de l'ascension sonne, nous amenant à amorcer notre retour vers la surface. Le Parachute, garant ultime de la sécurité du plongeur, est déployé puis empli d'air. Il entame immédiatement son ascension, orientant sa trajectoire en direction de la surface, annonçant ainsi à l'équipe restée à bord notre position actuelle et notre imminente arrivée aux indispensables Paliers de décompression.