C'est par une très belle fin de journée d'été que nous prenons la mer. Nous sommes huit plongeurs, dont un apnéiste, à bord pour une plongée de nuit unique. La mer est huileuse, entièrement lisse. Le soleil descend progressivement pour atteindre le sommet des monts Sarranier sur l'île de Porquerolles lorsque nous arrivons à destination.
Nous finissons de nous équiper, puis tous les phares allumés nous prenons la direction du Prosper Schiaffino. La descente s'effectue le long du bout auquel notre embarcation est amarrée, afin d'être certain d'arriver sur l'épave. Dès les premiers mètres, l'obscurité nous enveloppe de son manteau sombre. Nous perdons rapidement de vue la surface sans pour autant distinguer le fond. C'est une sensation étrange, nos sens sont perturbés un peu comme dans un caisson d'isolation sensorielle. Seul le bout, cordage qui relie la bouée de surface à l'épave, nous indique encore la verticale.
Soudain, jaillissant de la nuit noire, le faisceau de nos lampes capte les superstructures tout échevelées de Gorgones. Nous glissons le long de la coque, proche de l'avant, ou les membrures sont visibles telles les côtes d'une cage thoracique. Nous avançons vers la cassure. Gorgones et Spirographes sont en chasse. Des particules défilent devant nous, emportées par un léger courant. Brièvement, au gré de nos mouvements, la lampe accroche des morceaux de tôle difficilement identifiables.
Deux petits Chapons essayent de passer inaperçus à notre approche. Finalement, l'un d’eux, "craque" et bondit en avant à l'abri d'une tôle. Plus loin un gros Homard émet un son caverneux et avance vers nous lentement comme pour nous signifier qu'il n'aime pas être dérangé.
Nous remontons le long de la cassure sur le côté tribord. Les Gorgones défilent lentement. Nous voyons devant nous la palanquée de Wendy. Celle-ci nous fait des signes avec sa lampe pour attirer notre attention. Elle nous montre un spectacle rare, la ponte des Gorgones, que nous nous empressons de filmer. C'est un moment magique ! Les minuscules oeufs oscillent lentement dans un rai de lumière rasante.
Nous arrivons sur le pont ou un treuil se dessine devant nous. Quelques Rougets-barbets sont figés sur les concrétions. Au-dessus d'eux, les Anthias passent en trombe. Nous survolons le pont captant de-ci de-là les mouvements des nombreux poissons.
Il est maintenant grand temps de prendre le chemin du retour. Nous faisons demi-tour pour rejoindre notre point d'arrivée. Le bout atteint, nous remontons vers notre premier palier.
La gorgone rouge est une des espèces emblématiques de la Méditerranée. Elle se développe généralement sur les parois rocheuses, sur les coques des épaves… et toujours perpendiculairement au courant principal pour mieux intercepter sa nourriture.
Sa reproduction est rarement observée. Elle a lieu entre juin et juillet, quelques fois en août.
Chaque individu est soit mâle soit femelle. Les polypes des mâles émettent leurs spermatozoïdes en pleine eau. Grâce au courant, les spermatozoïdes atteignent les polypes des femelles où les œufs attendent.
Les oeufs se transformeront en larves qui se fixeront au hasard du courant sur un fond propice pour créer une nouvelle colonie.
La croissance est lente, environ un centimètre par an, par bourgeonnement.
Selon les observations, une gorgone rouge peut vivre jusqu’à 25 ans pour atteindre une dimension maximale de 1 mètre.
La compagnie Schiaffino frères, spécialisée alors dans le service côtier est créé en 1874. Cette compagnie appartenait à la famille Schiaffino, les bateaux étaient d'ailleurs souvent baptisés du nom des membres de la famille.
Monique Schiaffino, Rose Schiaffino, Louis-charles Schiaffino, Antoine Schiaffino... et bien sur le Prosper Schiaffino.
Cette compagnie possède vingt bâtiments en 1939 mais en perd 19 pendant la seconde guerre mondiale. Ce qui fait qu’à la fin des hostilités, le seul rescapé est le Prosper Schiaffino, qui assure le transport du vin entre l’Algérie et la Métropole.
Le Prosper Schiaffino est long de 78 m pour 12 m de large, il pouvait filer 14 à 15 nœuds propulsé par une machine à triple expansion de 1800 CV. Lorsque la famille Schiaffino l'achète, il est transformé en pinardier. Il est équipé de 4 citernes sur le pont, faisant ainsi partie des premiers cargos modernes à avoir transporté du vin autrement qu'en barriques.
Le 10 novembre 1945 il fait route vers Marseille. Lorsqu'il arrive dans les parages du sud de Porquerolles, son capitaine monsieur Baillet, ordonne à ses hommes d’observer la plus grande vigilance car il reste des mines en Méditerranée.
Ce jour là, le mistral souffle, la mer est forte. A 13h10 une énorme explosion retentit. Le cargo vient de heurter une mine par bâbord avant, la proue est quasi détachée du reste de la coque ne donnant aucune chance au bateau. L’eau envahit le navire, la poupe se soulève rapidement. Ne pouvant mettre les chaloupes à la mer, l’équipage, composé de 29 marins, se trouve dans l’obligation de se jeter à l’eau.
Par chance un avion de la R.A.F, témoin du drame, alerte les secours sauvant ainsi 27 hommes, alors que 2 sont portés disparus.
DONANUIT
La plongée de nuit, certains aiment, d'autres pas, mais la plongée de nuit sur le Donator ne laisse pas indifférent. Imaginez presque 80 mètres de tôle à explorer dans le noir profond avec comme seul champ de vision ce qui apparait furtivement dans le faisceau limité des phares de plongée le tout en état d'apesanteur. Amateurs de sensations fortes bienvenus...
