Le froid est mordant ce matin. Le ciel, couleur suie pèse sur nos têtes recouvertes par un chaud bonnet de laine. À la sortie du port, nous sommes accueillis par une forte houle de secteur Est qui nous pousse à effectuer une plongée sur la côte Ouest de Porquerolles afin de trouver une mer plus calme. Nous décidons alors de faire une ancienne plongée : Le Rodou. Ce petit Coralligène était principalement habité par des Mérous. Quelquefois, en été, il est même possible d'observer des Mola Mola. Après une navigation agitée, doublons le phare anciennement de la "Jaume Garde" ou actuellement la "Jeaune Garde". En rasant la côte, nous sommes moins secoués et pouvons nous équiper presque confortablement.
Nous basculons, Siu-Kwan et moi, dans "la grande bleue" qui aujourd'hui est sombre. Nous arrivons dans un champ de Gorgones blanches devant lequel un Serran chèvre parade. Au loin, un sifflement lancinant est audible. Peut-être un dauphin ou un autre mammifère. Au sol, un beau coquillage blanc aux extrémités pointues, peut-être un Lambis, (Si vous avez une idée, nous sommes preneurs) tranche sur le fond brun-rouge. Plus bas, sur le sable clair, une Holoturie marron se prélasse. Au dessus du coralligène, un banc de Mendoles tournoie. Quelques Girelles traversent l'espace posément. Nous sommes maintenant au pied du coralligène. Au-dessus de nous un Mérou nous observe tandis que deux autres prennent la fuite. De nouveau, le sifflement lointain enrichit l'ambiance sonore du lieu. Sous l'eau, il est impossible de localiser précisément la provenance d'un son. Il est partout autour de vous.
Nous suivons le Mérou qui nous emmène vers un autre Serran chèvre. Il habite dans l'un des multiples creux du coralligène. Une Mostelle démarre devant nous en trombe. Nous la rejoignons, au détour d'un relief, pour découvrir un Chapon. Celui-ci redresse son épine dorsale d'un air décidé. Deux Mérous passent lentement dans le bleu. Soudain, un léger mouvement attire mon oeil. Une Seiche est tapie sur le fond. Nous nous approchons lentement. Elle ne bouge pas. Encore plus près. Aucune réaction. Nous sommes maintenant au toucher. Elle oscille légèrement, son manteau ondule, mais elle ne prend pas la fuite. Elle se contente de nous observer.
Siu-Kwan : Je suis étonnée de pouvoir l’approcher de si près. Je me demande si ses trois coeurs battent la chamade en m’observant. Oui, vous avez bien lu, la seiche possède trois coeurs. J’ai du mal à évaluer la taille de celle-ci, mais en moyenne les seiches mesurent de 20-40 cm. La femelle est légèrement plus grosse et peut atteindre les 2 kg.
Nous la filmons à loisir puis nous reprenons notre déambulation afin de ne pas la déranger plus que de raison. Nous nous apprêtons à franchir un espace sablonneux quand un autre Mérou nous coupe la route nonchalamment. Et toujours ce sifflement lointain. Nous découvrons une belle Axinelle à côté d'une Gorgone blanche. Un petit banc de Rouget-barbet nage rapidement. Sur le sable, une belle Étoile de mer rouge étale tous ses membres.
Nous amorçons lentement notre remontée vers nos paliers en envoyant notre parachute de signalisation. Au premier palier, nous voyons ce que je pense être un Pyrosome. Quelques minutes plus tard, c'est au tour d'une Salpe d'entrée en scène.
Elle est parmi le top 3 des animaux les plus intelligents du monde marin. C'est la championne du monde toute catégorie du mimétisme et des variations de couleurs. Avec son corps oblong, elle est très hydrodynamique. Ses grands yeux en forme de "W" lui donnent un air un peu perdu. Qui est-ce ? C'est la seiche.
Bien dotée par mère Nature, elle a une vision exceptionnelle aussi bien en avant qu’en arrière, et possède même une vision nocturne hors norme. Elle a trois coeurs. Oui, vous avez bien lu, la seiche possède trois coeurs.
Chez les seiches, c'est la femelle qui est la plus grosse. Sa courte vie, de deux ans, elle la passe entre la surface et 200 mètres de fond environ. Elle préfère évoluer sur les fonds meubles, sables ou graviers, ou dans les herbiers. Occasionnellement, il est possible de la rencontrer sur de la roche.
Son mimétisme est tout simplement exceptionnel tant au niveau des couleurs que de la texture de sa peau. En cas de menace, elle expulse un nuage d'encre noire pour tromper son agresseur.
Prédateur redoutable, elle ingère indifféremment des poissons, des mollusques et des crustacés. Sa technique de chasse est l'affût. Pour capturer sa proie, elle projette sur elle ses deux tentacules longs, puis la ramène vers sa bouche et la maintient grâce à ses tentacules courts. Elle injecte ensuite un venin via sa salive et la découpe avec son bec de perroquet inversé. Redoutablement efficace.
Les seiches vivent habituellement isolées. Elles se regroupent au moment des parades nuptiales où l'on peut voir plusieurs mâles faire la cour à une même femelle, ou attendre leur tour. Si un mâle n'est pas aussi gros que les autres mâles en lice pour s'accoupler il va ruser. Il met ses couleurs en sourdine, positionne son corps pour ressembler à une femelle portant des œufs, et utilise ce déguisement pour se faufiler devant les mâles concurrents et ainsi rejoindre la femelle convoitée. Les oeufs sont fécondés dans le corps de la femelle.
La ponte donne des oeufs noirs terminés en pointe, assemblés en grappe, rappelant l'aspect des raisins. Ils sont déposés par la femelle un peu n’importe où sur le fonds. Lorsque les œufs arrivent à maturité, ils perdent leur coloration noire. Les jeunes seiches mesurent 12 à 15 mm environ. Dès l'éclosion, elles sont capables de capturer des proies et disposent déjà de tout un répertoire de colorations.
LE RODOU
Sous un ciel couleur suie, nous prenons la mer, à l'aube, vers l'Ouest de Porquerolles, afin de nous mettre à l'abri de la houle d'Est, encore très présente. Nous allons faire une ancienne plongée, que nous n'avons plus refaite depuis plusieurs années. Découvrez avec nous ce petit coralligène posé délicatement sur le sable blanc.
