Nous descendons rapidement, le long d'une ligne verticale imaginaire, chargés de matériels de prise de vue et de sources lumineuses. Fred, l'un des membres de l'équipe, a repéré la veille, en dérivant dans le courant, une zone de reproduction de Lièvres de mer. Notre objectif du jour est de la filmer, in situ. Les conditions météo sont limites. Le mauvais temps, à ne pas mettre un plongeur dehors, est annoncé pour le reste de la semaine. La mer est déjà bien formée. C'est notre dernière chance, cette année, pour capter un tel évènement.
Dès notre arrivée, la magie opère. Un premier Lièvre de mer vient au contact. Sa belle robe d'un brun rouge délicat est parcourue de veinules plus sombres du plus bel effet. Il passe juste devant le visage de Siu-Kwan puis s'éloigne dans un vol gracieux et ondulant en direction d'un petit monticule posé sur le fond sableux dans le lointain. Nous le suivons.
Quelques coups de palmes et nous voilà devant une scène que nous avons rarement observée. En fait de monticule, il s’agit d'un rassemblement de Lièvres de mer. Un chapelet, de vingt individus, disposés en arc de cercle, délicatement serrés les uns contre les autres, est là. Toutes les nuances de bruns sont présentes, du brun clair au brun foncé. Nous nous approchons au plus près pour observer la scène. Hermaphrodite, le Lièvre de mer est à la fois femelle et mâle.
Soudain, l'un des Lièvres de mer quitte le groupe et part à l'aventure. Nous le suivons tandis qu'il se dirige vers un autre groupe à environ 20 mètres du premier. Celui-ci est composé de huit individus. Certains essayent de s'agglomérer au chapelet déjà constitué. D'autres, dans un mouvement très sensuel, font bouger leur manteau lentement comme pour une caresse.
Nous prenons un peu d'altitude. Le fond constitué d'un gravier grossier est uniformément plat et monotone, recouvert d'algues très espacées. À perte de vue, dans toutes les directions, nous constatons la présence d'autres groupes. Est-ce que cette zone a un attrait particulier pour la reproduction ? Mystère.
De temps en temps, un lièvre de mer quitte le chapelet auquel il est attaché et part sur le sable soit pour se nourrir des algues présentes soit pour rejoindre un autre groupe.
Après avoir filmé ces ébats amoureux, nous partons en exploration sur le sable. Nous croisons une minuscule Seiche après une Ascidie blanche sur laquelle une Comatule a élu domicile. Le paysage monotone de cette grande plaine sableuse défile lentement. Nous découvrons par hasard une scène pas banale. Des petites Danseuses Espagnoles sont agglutinées autour de cocons blanchâtres. Chaque cocon à une taille suffisante pour contenir l'une des belles. C'est la première fois que nous observons cela.
La remontée vers les Paliers s'effectue normalement. Lancé du Parachute, puis attente aux différents paliers. Nous finissons par émerger dans une mer bien agitée qui commence à écumer. La remontée à l'échelle avec plus de 30 kilogrammes de matériel sur le dos est sportive. Il faut calculer le bon moment pour ne pas être précipité sur les barreaux.
Le Lièvre de mer est sensible aux paramètres saisonniers comme par exemple la température de l’eau. L'accouplement se fait en chapelet de plusieurs individus. Sur un même lieu des centaines de lièvres de mer peuvent être présent dispersés en plusieurs chapelets.
L'animal, qui est hermaphrodite, introduit son pénis dans l'orifice génital femelle du partenaire et ainsi de suite dans la chaine. La reproduction donne des oeufs sous forme de spaghetti gélatineux, pouvant contenir des millions d'œufs. Éclos, les œufs donneront des larves. Celles-ci, après quelques mois de vie planctonique, se métamorphoseront en adultes.
BALLET NUPTIAL
Fin septembre, début octobre c'est le retour du courant Ligure et ses eaux chaudes, riche en nutriment, favorable aux espèces de toute sorte. Les lièvres de mer profitent de ces conditions pour se reproduire loin de l'agitation du monde terrestre.
