Les ténèbres bleutées nous enveloppent de leur manteau de nuit. La descente s'accélère vers les profondeurs méditerranéennes. La lueur irréelle des lampes de plongée perce cette presque nuit révélant au hasard de nos mouvements une faune et une flore aux couleurs chatoyantes, couleurs qui semblent jaillir de la pénombre.

La gigantesque paroi à main droite est presque verticale, torturée, percée de failles et de cavités. Elle s'enfonce dans la nuit jusqu’où le regard peut aller. Le fond est indistinct. Il semble mouvant lorsque le bout de notre doigt lumineux arrive à l'accrocher. Cette ambiance sombre est idéale pour recentrer l'attention du plongeur sur lui-même et son environnement très proche. Elle exacerbe les sens. Aujourd'hui, les Gorgones semblent plus présentes, plus grandioses que jamais. Est-ce la narcose ? Nous avons vraiment l’impression que les plus petits détails sont mieux définis, plus nets.

Les Éponges cavernicoles jaunes se dressent fièrement vers la surface en rangs serrés. Les particules alimentaires en suspension sont nombreuses, les Gorgones l'ont bien senti. Elles déploient largement leurs polypes pour capter cette manne nourricière.

Un vieux filet, entièrement recouvert par la végétation sous-marine, est comme figé dans l'espace. Tout en raideur, il sert maintenant de support à une grande variété d'espèces, comme pour se faire pardonner son lourd passé. De temps en temps, furtivement, comme en s'excusant d'être là, un Sar à tête noire ou une Girelle passe dans la lueur artificielle des phares. Bien sûr, les Anthias sont présents eux aussi, mais ils semblent plus timides que d'ordinaire et se tiennent loin de nous, comme repoussés par le flux lumineux.

Nous remontons lentement en suivant le relief escarpé. Les Gorgones défilent devant nous dans une débauche de couleurs jaune et pourpre. Certaines poussent parallèlement à la surface, d'autres verticalement. Toutes sont perpendiculaires à la roche afin de mieux capter leur pitance à l'aide de leurs ramures en forme d'éventail. En quelques minutes d'une ascension verticale, nous arrivons dans la zone où nous devons lancer vers la surface le Parachute de signalisation. À ce signal, le bateau répond par un passage au-dessus de nos têtes à allure réduite. Puis après avoir fait demi-tour, il revient et immerge un Pendeur auquel nous nous accrochons afin de passer les longs paliers à l'abri.